On croit être attaché aux endroits où l’on vit. On croit que chez soi, c’est un lieu bien particulier qui ne s’improvise pas. Un endroit qui se ressent. La première fois qu’on entre quelque part, on sait, on sent que chez nous, ce sera ici et nulle part ailleurs. On s’y installe, persuadé qu’aucune autre maison n’aurait pu être chez nous à ce point, qu’on n’aurait pas pu vivre les choses aussi intensément, ailleurs.
Ma première maison rien qu’à moi, c’était mon appartement d’étudiante. Une seule petite pièce avec une minuscule salle de bain. Je l’adorais. C’était chez moi. Pas chez mes parents, chez moi. J’étais la seule à en avoir la clé, j’y invitais qui je voulais, j’y faisais ce que je voulais, je n’avais de comptes à rendre à personne sur mon emploi du temps et pour la première fois, quand on cherchait mon nom et mon prénom dans l’annuaire, j’existais ! Symboliquement, c’était quand-même super important.
Pourtant, le jour où je l’ai quitté, ça ne m’a absolument rien fait. Je me rappelle avoir voulu restée seule dedans une dernière fois, une fois la pièce vidée, à la recherche d’une émotion, d’un morceau de nostalgie, d’un truc un peu fort à ressentir, comme un hommage à tous ces souvenirs, mais absolument rien n’est venu. C’était juste une pièce vide, silencieuse et du coup un peu triste. une pièce dans laquelle quelqu’un d’autre allait bientôt venir s’installer pendant que moi, j’irai poser ma vie ailleurs, dans un nouvel endroit que j’appelerai chez moi.
Quand ma mère a vendu la maison de mon enfance, celle dans laquelle je suis née et dans laquelle j’ai grandi, je pensais ressentir un truc particulier. Je pensais que ce serait comme une page à tourner, un bout de mon enfance envolé, j’imaginais que ce serait étrange d’aller lui rendre visite dans une nouvelle maison totalement inconnue dans laquelle je n’aurais même pas de chambre à moi, juste une chambre à partager avec tous les visiteurs de passage.
Et pourtant non. Quand je repasse devant cette maison aujourd’hui, je ne ressens absolument rien. Aucun pincement au cœur, aucune pensée émue. J’oublie même souvent de la regarder. Et quand j’y pense, je vois que la porte a changé de couleur, les volets aussi et que le petit arbre sous la fenêtre de la chambre a disparu mais je m’en fiche complètement. Désormais, quand je rentre, je pose mon sac dans une chambre qui n’est pas la mienne avec mon homme qui n’a jamais connu la maison d’avant et c’est très bien comme ça. Cette maison, c’était juste 4 murs avec des pièces dedans et ces murs n’avaient du sens que parce qu’on y avait entassé tout ce qui constituait nos vies.
Des maisons dans lesquelles j’ai vécu, il y en a eu beaucoup. Certaines de passage, pour quelques semaines ou quelques mois, d’autres pendant des années. Je me souviens précisément de chacune de mes adresses, le numéro, la rue, l’étage, la porte gauche ou droite, la couleur des couloirs, le bruit de l’ascenceur, les odeurs, la décoration, les meubles, les tableaux accrochés. Chacun de ces endroits a compté mais aucun ne me manque et plus aucun n’a de sens pour moi.
Parce que chez moi, c’est la maison dans laquelle je m’installe aujourd’hui. Celle qui m’épuise à force de peinture, de cartons et de meubles en kit. Celle dont je ne soupçonnais même pas l’existence il y a quelques semaines. Celle où je me sens bien, exactement à ma place. Celle qui me manquera quand je partirai en vacances. Celle où je m’endors chaque soir avec celui que j’aime. Celle où, dans quelques semaines, je ramènerai dans mes bras le petit être le plus précieux du monde pour l’y regarder grandir.
Chez moi, chez nous, c’est là, c’est tout.
